Indemnités en cas de licenciement pour faute grave

Indemnité licenciement faute grave

La faute grave

« La faute grave résulte d’une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise » (Soc. 10 nov.2010).La Cour de cassation exerce un contrôle de qualification de la faute grave (Soc. 10 nov. 2010).

Le maintien du salarié dans l’entreprise n’exclut toutefois pas toujours la qualification de faute grave. Il en va ainsi par exemple si l’employeur ressent la nécessité, avant toute décision, de vérifier certains faits (Soc. 11 janv. 1995) ou s’il a attendu le retour de congés du salarié pour réagir (Soc. 1er mars 1995).

Le licenciement pour faute grave permet à l’employeur de ne pas verser les indemnités de rupture du contrat de travail (indemnités de préavis et de licenciement).

Mais l’employeur qui octroie au salarié une indemnité compensatrice de préavis ne peut être privé du droit d’invoquer la faute grave (Soc. 2 févr. 2005). Le contentieux du licenciement pour faute grave est l’un des plus importants et une abondante jurisprudence existe en la matière.

La faute grave n’est pas retenue :

• pour un retard de retour de congés d’un salarié ayant 24 ans d’ancienneté (Soc. 26 avril 2007) ;

• pour une simple négligence sans conséquence (Soc. 23 mai 2007) ;

• pour un vol, vu « la modicité de ce vol », par une salariée qui « n’avait fait l’objet d’aucune remarque durant les sept années passées dans l’entreprise »(Soc. 29 janv. 2008) – la jurisprudence selon laquelle « Qui vole un œuf, vole un bœuf » est abandonnée.

L’ancienneté du salarié et son comportement habituel peuvent constituer des circonstances atténuantes (Soc. 10 nov. 2010).

Faute retenue :

Peuvent, suivant les circonstances (conditions d’exécution du travail, environnement, ancienneté du salarié, préjudice pour l’entreprise, etc.), constituer des fautes graves :

• une mauvaise exécution de la prestation de travail ;

• des abus d’expression : « accusations mensongères » (Soc. 21 juin 2006) ;

« propos humiliants et répétés à connotation raciste » (Soc. 5 déc. 2018) ;

« propos dégradants à caractère sexuel » tenus par un salarié à l’encontre

d’une collègue de travail (Soc. 27 mai 2020, Sté Octapharma) ;

• l’utilisation de son courriel pour diffuser des propos racistes (Soc. 2 juin 2004) ;

• l’échange de propos entre salariés par courriels dénigrant leur hiérarchie (Soc.2 févr. 2011) ;

• l’absence de dénonciation d’un délit, imposée par la loi (Soc. 21 mai 2008, art. 434-1 CP) ;

• des actes malhonnêtes révélant un manque de loyauté : l’emprunt sans motif légitime du mot de passe d’un salarié pour se connecter au poste informatique du directeur de la société (Soc. 21 déc. 2006), le concours technique apporté à la création d’une société concurrente (Soc. 4 juill. 2007) ;

• le fait de se faire rembourser des frais fictifs, des dépenses payées avec le chéquier de l’entreprise, une dépense personnelle, etc. (Soc. 10 nov. 2010) ;

• l’utilisation du matériel de l’entreprise pour prendre des paris pendant le temps de travail (Soc. 14 mars 2000) ;

• l’usage de la connexion Internet de l’entreprise pour une durée d’environ 41 heures au cours d’un mois (Soc. 18 mars 2009) ; le fait de s’être connectée « pendant son temps de travail à de très nombreuses reprises à de nombreux sites extraprofessionnels tels que des sites de voyage ou de tourisme, de comparaison de prix, de marques de prêt-à-porter, de sorties et événements régionaux ainsi qu’à des réseaux sociaux » (Soc. 26 févr. 2013, Sté Dubus) ; « l’utilisation de sa messagerie pour la réception et l’envoi de documents à caractère pornographique et la conservation sur son disque dur d’un nombre conséquent de tels fichiers » (Soc.15 déc. 2010, M. X c/ Sté Coca-Cola) ;

• « le fait de procéder volontairement au cryptage de son poste informatique(…) faisant ainsi obstacle à la consultation » (Soc. 18 oct.2006) ;

• l’atteinte grave à la réputation de l’employeur : en volant même pour une valeur modique dans un hypermarché relevant de son secteur de prospection (Soc. 3 déc. 2002) ; « le vol commis par un salarié au préjudice d’un client de l’employeur caractérisant, alors même que l’objet soustrait serait de faible valeur, une faute grave » (Soc. 16 janv. 2007) ;

• un manquement à l’obligation de sécurité (Soc. 28 févr. 2002) ;

• le refus réitéré à l’examen du médecin du travail (Soc. 29 nov. 2006) ;

• le fait de fumer dans un local de l’entreprise, en violation d’une interdiction imposée en raison du risque d’incendie (Soc. 1er juill. 2008) ;

• le harcèlement sexuel, qui constitue « nécessairement » une faute grave (Soc.24 sept. 2008, M. R.) ;

• des violences, notamment morales (Soc. 12 mai 2010, manipulation via l’Internet) ;

• etc.

Prescription(faute)

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait n’ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales (L. 1332-4).

L’employeur s’entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir (Soc.23/06/2021, G. c/ Sté GFK ISL Custom Research France). En cas de poursuite pénale, quand l’employeur n’est pas partie à la procédure pénale, le délai de 2 mois court à compter du jour où il a eu connaissance de l’issue définitive de la procédure pénale (Soc. 15 juin 2010).

Procédure disciplinaire

Pour les sanctions ayant une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié, l’employeur qui envisage de prendre une sanction à l’encontre d’un salarié doit respecter une procédure disciplinaire (L. 1332-2). Il peut en être ainsi, y compris pour un avertissement (Soc.3 mai 2011, Sté CEFR), notamment si le RI ou la convention collective applicable prévoit des dispositions spécifiques (Soc. 18 juin 2014).

• Entretien préalable (convocation)

L’employeur convoque le salarié, par LR ou remise en main propre contre décharge, en lui précisant l’objet de la convocation, la date, l’heure et le lieu de l’entretien, et la faculté de se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise (L.1232-4, R. 1332-1). La procédure n’impose pas que le salarié ait accès au dossier avant l’entretien préalable (Soc.27 févr. 2013, QPC).

En cas d’entretien préalable au licenciement dans les entreprises dépourvues d’IRP (CSÉ), la lettre de convocation mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié (L. 1232-7 et s.) et précise l’adresse des services (Inspection du travail) dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition (L. 1232-4).

• Entretien préalable

Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise (ou par un conseiller du salarié, en cas d’entretien préalable au licenciement, dans les entreprises dépourvues de CSÉ).

Au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié (L. 1332-2).

EN PRATIQUE

• Décision de l’employeur et conséquences

À l’issue de cet entretien, l’employeur peut renoncer à sanctionner le salarié. L’employeur peut décider de poursuivre la procédure. L’employeur doit attendre au moins 2 jours ouvrables avant de prononcer une sanction. Celle-ci ne doit pas être prononcée plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien (R. 1332-3). Il en est ainsi même pour un avertissement (Soc. 16 avril 2008). « Le délai d’un mois est une règle de fond et l’expiration de ce délai interdit à l’employeur (…)de sanctionner disciplinairement ces faits (…) » (Soc. 5 mai 2010, Mme Y.c/ Sté L’Oustal Anne de Joyeuse ; la salariée refusait un changement d’affectation, décidé à titre de sanction plus d’un mois après l’entretien préalable).

« Aucune sanction ne peut être prise à l’encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui »(L. 1332-1). Cette règle s’applique à toutes les sanctions, mêmes mineures, tels un avertissement ou une sanction de même nature, qui doivent faire l’objet d’une notification écrite de l’employeur au salarié. Seule l’observation verbale, qui n’est pas une sanction, est exempte de toute forme de procédure.

• Principe

La décision de sanction fait l’objet d’une lettre motivée et notifiée à l’intéressé (lettre remise en main propre contre décharge ou recommandée, R. 1332-2). Le défaut de motivation d’une décision de sanction prive cette dernière de justification(Soc. 7 nov. 2007, M.D c/ Edf-Gdf).

Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par LR/AR. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur (L. 1232-6).

En cas de licenciement pour faute grave (ou faute lourde), l’employeur peut ne pas verser les indemnités de rupture (de préavis et de licenciement) (le salarié conserve son droit à indemnisation par Pôle emploi).

Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure n’ait été respectée(L.1332-3).

• Procédures conventionnelles

Lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire (L. 1235-2). Cette nouvelle disposition va à l’encontre de la jurisprudence (Soc. 21 oct.2008, Sté West c/ M. Ménard ; Soc. 9 janv. 2013, Groupe Audiens).

Contrôle juridictionnel

• Contestation

Le salarié peut contester toute sanction disciplinaire en saisissant le CPH. Ainsi, « l’acceptation par le salarié de la modification du contrat de travail proposée par l’employeur à titre de sanction n’emporte pas renonciation du droit à contester la régularité et le bien-fondé de la sanction » (Soc. 14 avr.2021, K. c/ Comité central du groupe public ferroviaire).

• Régime probatoire

Il bénéficie d’un régime probatoire plus favorable que le régime de droit commun (L. 1333-1). Ainsi, le salarié fournit des éléments à l’appui de ses allégations ; l’employeur, lui, fournit les éléments retenus pour prendre la sanction ; au vu de ces éléments, le CPH, après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles, forme sa conviction. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

• Pouvoirs du juge et décision judiciaire

Le CPH apprécie :

• si la procédure suivie est régulière (la procédure légale et la procédure conventionnelle – commission de discipline, etc.) ;

• si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction (vérification de la matérialité des faits reprochés, qualification des faits reprochés en faute ou non ; contrôle de matérialité et de qualification) ;

• si la sanction est proportionnée à la faute commise (contrôle de proportionnalité).

Les pouvoirs du juge du contrat sont étendus (L.1333-2). Le CPH « peut »annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée, ou disproportionnée à la faute commise. Outre l’annulation de la sanction, le salarié peut obtenir le versement de dommages-intérêts ; en effet, « une sanction disciplinaire décidée à l’encontre d’un salarié peut lui occasionner un préjudice, même si elle est par la suite annulée » (Soc. 24 sept. 2013, APSA). En revanche, le juge « doit » déclarer nulle toute sanction contraire à une liberté ou à un droit fondamental.

• Conséquences de la décision judiciaire

L’annulation d’une sanction de mise à pied entraîne le versement par l’employeur au salarié de la rémunération que celui-ci aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période de mise à pied.

L’employeur dont la décision de sanction se trouve annulée par le juge peut seul décider une sanction moindre, en cas de faute établie. Le juge n’a pas le pouvoir de substituer une sanction à une autre. L’employeur doit prendre sa nouvelle décision dans un délai d’un mois également, lequel court à compter de la notification de la décision d’annulation (Soc. 4 févr. 1993). Si l’annulation de la sanction est prononcée pour défaut de procédure, celle-ci ne peut matériellement être reconduite et aucune nouvelle sanction ne peut être prononcée, car le délai est de 2 mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de la faute (Soc. 18 janv.1995).

En revanche, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la sanction disciplinaire est le licenciement (L. 1333-3). La loi prévoit alors seulement le versement de dommages-intérêts en faveur du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse et non l’annulation du licenciement. Il est donc permis au CPH d’annuler une mise à pied qui lui semble injustifiée ou disproportionnée à la faute commise, mais non un licenciement, sanction pourtant plus grave qu’une mise à pied. Cependant, le CPH déclare nul un licenciement portant atteinte à une liberté fondamentale ou à un droit fondamental.

EN PRATIQUE

Définitions pour le calcul des délais :

• Jours calendaires : tous les jours (du calendrier) de l’année civile (1 er janvier au 31 décembre).

• Jours ouvrables : les jours de la semaine à l’exception du jour de repos hebdomadaire et des jours fériés non travaillés dans l’entreprise (exemple : du lundi au samedi inclus – 6 jours).

• Jours ouvrés : les jours effectivement travaillés dans l’entreprise (exemple : du lundi au vendredi inclus – 5 jours).

• Jour franc : jour complet de 0 heure à 24 heures. Un délai calculé en jours francs ne tient pas compte du jour de la décision, ni du jour de l’échéance (si le délai s’achève un samedi, un dimanche ou jour férié, il est reporté d’un jour).

Source : Le grand livre du droit du travail en pratique 2022-2023

Nathalie Palmyre

Mes derniers articles

mes compétences juridiques

Liens utiles

Nathalie Palmyre – Avocat droit du travail – Paris © 2022